malgré le confinement elles auront bien lieu les 13 et 14 novembre , mais à distance en visio conference
renseignement : milesy@rencontres-sociales.org
Programme des 6ème rencontre
13 et 14 novembre 2020
« L’ESS, un outil de la transformation sociale
Un atout pour un « jour d’après » démocratique, social et écologique. »
organisées par EMI/CFD – GOEES – Rencontres Sociales – Institut Polanyi
avec le soutien de Plaine Commune et de « l’Humanité » « Politis » et « le Journal de Saint-Denis »
Visionnez l’entretien avec Sylvie Mayer réalisé par François Bernard aux rencontres de la plaine 2017, cette année la commission ESS du PCF présentera aux rencontres le
manifeste pour une conception communiste de l’ESS
le mois de l’ESS et l’Humanité


L’ESS, lieux de changement sur le chemin de la sortie du capitalisme
Entretien avec Sylvie Mayer, animatrice du groupe économie sociale et solidaire du Parti communiste français, paru dans le magazine UFAL Info (Propos recueillis par Nicolas Pomiès).
On parle beaucoup d’ESS mais que représente cet acronyme ?
L’ESS (économie sociale et solidaire) rassemble les associations, les coopératives, les mutuelles, les comités d’entreprises, même si pour ces derniers le monde de l’ESS dit «statutaire » a du mal à les accepter. Je voudrais ici rappeler la définition que donne « le labo ESS » de l’économie sociale et solidaire : « Un ensemble des structures qui reposent sur des valeurs et des principes communs : utilité sociale, coopération, ancrage local adapté aux nécessités de chaque territoire et de ses habitants. Leurs activités ne visent pas l’enrichissement personnel mais le partage et la solidarité pour une économie respectueuse de l’homme et de son environnement ».
Cela représente un potentiel humain avec 2 380 000 salariés soit 8% de la population active, 12,7% des emplois du privé (1,2 millions) et 1 million d’équivalents temps plein pour les bénévoles associatifs. Les coopératives bancaires recueillent 60% des dépôts bancaires des Français, 4 Français sur 10 sont adhérents d’une mutuelle de santé et un Français sur deux est adhérent d’une mutuelle d’assurance. Cela représente aussi un potentiel financier avec 12 à 13% du PIB. En 2017, la Confédération Générale des Scop (Sociétés coopératives participatives, telles que les sociétés coopératives ouvrières de production) présentait un nouveau bilan chiffré positif, marqué par un accroissement conséquent de l’emploi de 7,6 % par rapport à 2016. Désormais, le mouvement Scop regroupe 3 177 Scop et Scic, et son chiffre d’affaires atteint près de 5 milliards d’euros. Il représente également des perspectives d’emplois pour les jeunes, puisque du fait du papy-boom les Scop connaitront 100 000 départs à la retraite dès 2017, et plus de 700 000 d’ici à 2025. De plus, grâce à la finance solidaire, de nombreux emplois sont créés. Ainsi, en 2014, France Active annonçait qu’avec 236 millions d’euros mobilisés, son activité avait permis de créer ou de consolider près de 33 000 emplois, dont 24 000 pour l’ESS sur l’ensemble des territoires français.
Pensez-vous que les grandes organisations, qu’elles soient mutualistes ou coopératives, sont vraiment différentes des entreprises capitalistes classiques ?
Oui, elles le sont par leur statut qui donne à chaque sociétaire une voix quel que soit son apport financier. Elles le sont parce qu’elles n’ont pas comme premier objectif la rémunération d’actionnaires, parce que les bénéfices engrangés sont prioritairement utilisés pour des réserves impartageables, et pour l’amélioration des salaires lorsqu’il s’agit d’entreprises coopératives dont les sociétaires sont les salariés. Les SCOP en sont le meilleur exemple, car elles sont plus pérennes que les entreprises capitalistes classiques, elles sont non délocalisables et non « opéables », l’échelle des salaires y est resserrée, la plupart du temps de 1 à 5 ou 1 à 7 au maximum.
Elles cherchent, même si ce n’est pas facile lorsque l’entreprise atteint une grande taille, à fonctionner de façon démocratique, en donnant toute leur place aux salariés pour la définition des grandes orientations et la prise des décisions essentielles de l’entreprise. Les SCOP créent de la démocratie dans le système productif, elles peuvent faire évoluer des notions de propriété, d’entreprise, de valeur. Elles articulent souvent le « pourquoi nous produisons » avec le « comment nous le faisons », elles peuvent modifier le résultat de la production, son influence territoriale et sociétale, et concourir à l’émancipation des travailleurs. Tout cela donne aux SCOP un vrai potentiel de dépassement du capitalisme. Cependant, elles restent dans le système capitaliste et les échanges marchands, avec des donneurs d’ordre qui leur imposent les mêmes contraintes que les grands groupes à leurs sous-traitants, et des directives européennes pilotées par les États européens, ce qui les contraint à la concurrence. Il faut par ailleurs distinguer des entreprises SCOP et SCIC les grandes coopératives agricoles aux mains de superstructures capitalistiques et les coopératives bancaires qui ont dévié de leur statut initial pour fonctionner quasiment comme les autres banques. Je dis quasiment, car malgré tout elles ne sont pas cotées en bourse et les sociétaires peuvent participer – en théorie – aux prises de décisions via les assemblées générales des agences territoriales. Il y aurait beaucoup à faire, tant dans ces grandes banques coopératives que dans les grands regroupements mutualistes, pour redonner aux sociétaires le pouvoir sur les orientations et les grandes décisions. Ce n’est pas impossible, il faut en avoir la volonté, tant dans des associations que dans des partis politiques, en créant des outils d’intervention dans les assemblées générales qui donnent confiance aux sociétaires dans leur capacité d’intervenir, d’exiger un retour aux valeurs de l’ESS et de participer aux conseils d’administration des agences territoriales. Il faudrait aussi que les salariés de ces organisations mutualistes et coopératives de grande taille soient également sociétaires. Il y aurait à inventer un système de double conduite, avec les salariés et les autres sociétaires. Rappelons- nous de l’aventure de la Camif. Les salariés avaient à plusieurs reprises attiré l’attention sur les dérives qui mettaient cette coopérative en péril. L’absence de pouvoir des salariés, le peu d’attention apportée à leurs alertes par des sociétaires qui se comportaient en consommateurs ordinaires ont conduit la Camif à sa perte et les salariés à la porte !
Vous prônez l’investissement des militants et plus largement des citoyens dans les structures de l’ESS. Ne risquent ils pas de s’y perdre ? L’ESS est-il selon vous un outil de transformation sociale ?
Comme l’écrit Jean Sève, dialoguant avec son père Lucien Sève dans leur dernier livre, « En accumulant sans se lasser des changements qualitatifs d’allure minime, on fait mûrir imparablement des changements quantitatifs de grande taille » Je crois, oui, que les citoyens doivent se mêler des affaires de notre pays, de l’Europe et du monde pour les transformer. Et je pense que les organisations de l’Économie sociale et solidaire ; petites et grandes ; peuvent être l’un des lieux de ces changements minimes qui conduiront à des transformations fondamentales sur le chemin de la sortie du capitalisme vers le communisme. Donc, j’encourage les citoyennes et citoyens à s’y investir, qu’il s’agisse d’en créer, de les développer, ou de les faire revenir dans les valeurs de défense des salariés, de justice économique et sociale, pour toutes et tous, de lutter pour l’environnement. Il faut bien sûr critiquer et combattre leurs dérives, mais il faut en même temps s’y investir, qu’il s’agisse des AMAP (associations pour le maintien de l’agriculture paysanne), des associations pour la défense des « sans » – argent, logement, papiers, bonne alimentation – ou d’entreprises véritablement humaines qui donnent du sens au travail, de mutuelles dont l’objectif est la défense de l’accès aux soins pour tous, de banques qui aient pour objectif une dynamique économique sociale anticapitaliste. Il y a certes du travail pour y arriver mais cela en vaut la peine afin que s’accomplissent les changements quantitatifs de grande taille dont parlent Jean et Lucien Sève.
Vous craignez que les citoyens s’y perdent ? Croyez-vous que les jeunes qui deviennent sociétaires des coopératives d’activité et d’emploi, les CAE plutôt que non-salariés autoentrepreneurs exploités par Uber vont se perdre ? Que les sociétaires des SCIC, sociétés coopératives d’intérêt collectif, qui rassemblent salariés, usagers, élus, vont se perdre dans la gestion collective de leur entreprise ? Et même les paysans qui adhèrent à une grosse coopérative agricole ? Ne vaut-il pas mieux – comme cela se passe actuellement dans certaines d’entre elles – qu’ils se battent pour un retour à la défense de la paysannerie, des consommateurs, plutôt que de se faire manger par Leclerc, Carrefour et consorts ?
Dans chaque secteur de l’ESS se trouvent des organismes (comme Mutuale en mutualité) affichant des ruptures plus franches avec le système. Doivent-ils être privilégiés ?
On me pose souvent la question « Dois-je aller à la Nef, ou au Crédit Coopératif plutôt que dans une autre banque, même coopérative ? ». Si on a la force et l’envie de lutter, alors on peut essayer de transformer les banques qui ont oublié leur statut de mutuelle, sinon, il vaut mieux aller dans celles qui ont de bonnes valeurs… et les aider à ne pas déraper ! Je pense que la liberté doit être donnée à chacun d’aller où il le souhaite. C’est aux belles mutuelles dont vous parlez de faire la preuve de leurs valeurs véritablement mutualistes, en donnant toute leur place aux usagers comme aux salariés. Quant aux sociétaires de mutuelles ou de banques coopératives qui ont oublié leurs valeurs, il faut les aider à se battre pour qu’elles redeviennent des outils au service d’un vrai changement. J’indique dans mes réponses précédentes quelques pistes pour y parvenir. C’est sans doute cela que Marx – repris par Jean Jaurès, à propos de la création de la SCOP VOA, verrerie ouvrière d’Albi – appelait « l’évolution révolutionnaire ».
Ne risque t’on pas d’assister à une banalisation de l’ESS dans le capitalisme plutôt qu’à une rupture, surtout depuis l’émergence du Social Business ?
Avec le « French Impact » du président Macron et de son Secrétaire d’État à l’ESS Christophe Itier, il y a en effet ce risque. Il correspond à la volonté déjà affichée dans les « Social Impact Bonds » et dans la promotion de l’entrepreneuriat social introduit par la loi du 31 juillet 2014 de mettre l’ESS, et en premier lieu le monde associatif, dans la dépendance des puissances financières privées à l’instar du « Non-Profit sector » et des « Charities » anglo-saxons. Comme l’écrit Jean Philippe Milesy délégué général de Rencontres sociales : « C’est toute la constitution progressive de l’ESS, faite d’engagements citoyens, de démocratie et de solidarité, qui se trouve ainsi remise en cause. Ce qui est recherché, c’est une ESS arrachée à ses racines culturelles et politiques, issue pour une large part du mouvement social, pour devenir un secteur opérationnel dans les champs sociaux, dépendante pour l’essentiel de la commande publique. » Si certains acteurs de l’ESS y contribuent par leur inertie ou leur adhésion, d’autres se battent, et la société civile y contribue. La récente Marche pour le climat, sur le mot d’ordre repris à Alternatiba « Changeons le système, pas le climat ! », qui a réuni en France près de 100 000 participants à partir d’un citoyen et des réseaux sociaux, doit nous faire réfléchir sur le potentiel de résistance et de capacité d’actions et de propositions que recèle le peuple français. Alors, oui, le risque existe, mais la capacité d’y résister existe aussi et c’est vers cela qu’il faut se tourner, c’est cela qu’il faut encourager.